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Belkhadem entre rancœur et manipulation

Alors que la pression extérieure visant à isoler l’Algérie sur la scène internationale s’intensifie

Farouk L. Benzaïm – 21 octobre 2025

Actionnée par le centre de décision, le groupe autour d’Abdelmadjid Tebboune, auquel elle est strictement attachée, la chaine de télévision Al Khabar a décidé de diffuser une longue interview d’Abdelaziz Belkhadem, un bureaucrate éprouvé du régime. Les considérations de ce revenant politique ont à peine troublé le silence d’outre-tombe qui règne sur une scène politique pétrifiée. Séquencée comme un feuilleton cette interview a néanmoins retenu l’attention de Farouk Benzaïm qui a décidé de partager cette une évaluation critique dans un contexte ou la répression des libertés n’a jamais été aussi systématique et ou les tensions internes du régime sont de plus en plus problématiques

Abdelaziz Belkhadem, né le 8 novembre 1945, est donc âgé de 80 ans, comme le président Abdelmadjid Tebboune, né le 17 novembre de la même année. En bon exécutant, il vit des royalties du régime depuis 53 ans. Après avoir été directeur adjoint aux relations internationales à la présidence de la République. en 1972, il a été chef du gouvernement, a dirigé le Front de libération nationale (FLN) pendant plus de neuf ans, et a été ministère des Affaires étrangères, entre autres fonctions. Il a également accompli de nombreuses autres tâches qui lui ont été confiées officieusement par certains « décideurs » du régime, tant en Algérie qu’à l’étranger. Abdelaziz Belkhadem est un bureaucrate de la politique. Il est entré dans ce monde par l’administration centrale, tout comme son ami Abdelmadjid Tebboune.

Abdelaziz Belkhadem partage non seulement l’âge d’Abdelmadjid Tebboune, mais aussi son parcours professionnel. Ils ont fréquenté le collège et le lycée ensemble dans les années 1960 et sont entrés dans la capitale algérienne grâce à des réseaux de loyauté et d’obéissance qui cooptent des fonctionnaires sur cette base. L’un, Tebboune sur la base de ses qualités de technicien administratif et l’autre Belkhadem pour sa capacité à incarner le courant islamiste dans la vie politique artificielle mise en place par les vrais chefs du régime. Ces deux acteurs de la façade civile sont également connus pour leur fidélité aux réseaux de l’ère Chadli et Bouteflika, principalement celui dirigé par le général Larbi Belkheir.

Du soutien à Abdelaziz Bouteflika à la mobilisation de réseaux en faveur d’Abdelmadjid Tebboune.

Mais pourquoi, à 80 ans, Belkhadem a-t-il décidé de s’exprimer ? Pour ses confidences, le personnage a opté pour El Khabar, une chaine de télévision notoirement associée au cercle présidentiel, pour rompre avec la monotonie d’une retraite confortable dans l’un des palais que les autorités lui ont attribué, situé à El Mouradia, à quelques pas du palais présidentiel. Dans ce long entretien, Belkhadem raconte son enfance, sa scolarité et sa relation avec le président Tebboune. Parallèlement, il tente de se présenter, comme à son habitude, comme un défenseur de la langue arabe et des principes et valeurs de l’islam. Il tient à s’afficher coiffé d’un turban blanc, qui, espère-t-il sans doute, pourrait blanchir une trajectoire achevée dans le soutien à des réseaux corrompus au sein de son parti.

Dans les vidéos diffusées sur YouTube et TikTok, El Khabar met l’accent sur son amitié avec Tebboune, son appel à la transparence des mandats électoraux, sa défense de la langue arabe et sa confrontation avec ceux qu’il qualifie de « French lovers »[1]. Ces deux derniers jours, la question de la transparence des mandats électoraux a fait grand bruit sur les réseaux sociaux.

C’est une préoccupation légitime mais plutôt incongrue venant d’Abdelaziz Belkhadem qui a joué, tous s’en souviennent, un rôle majeur dans la campagne pour une modification constitutionnelle en 2008 visant à maintenir Abdelaziz Bouteflika au pouvoir pour l’éternité. Il est également bien connu dans les cercles politiques plus ou moins informés qu’Abdelaziz Belkhadem a activement fait pression pour convaincre les islamistes du bazar de prêter allégeance à Bouteflika de 1999 à 2019.

L’appel à l’ouverture des mandats en ce moment précis pourrait être le premier ballon sonde de ceux qui cherchent à maintenir Tebboune au pouvoir après 2029, perspective qui rencontre déjà une certaine résistance, tant au sein qu’en dehors de l’establishment.

Ce qui semble confirmer que Belkhadem a pour mission de soutenir Tebboune et, éventuellement, de lever l’interdiction faite à certains membres de la vieille garde du Front de libération nationale (FLN) de se présenter aux prochaines élections législatives prévues au printemps prochain.

Cette mission s’inscrit dans la continuité d’autres actions menées dans l’ombre par Belkhadem pour susciter une dynamique de soutien à Abdelmadjid Tebboune lors des campagnes pour ses deux mandats. Cet activisme explique sa présence au premier rang des personnalités le jour de l’investiture de Tebboune pour son second mandat, alors qu’il n’occupait aucune fonction officielle.

Exploiter la mémoire de Mehri et accuser Aït Ahmed de francophilie : exacerber les sensibilités identitaires

Belkhadem, dans la même interview, a tenté d’exploiter la mémoire du moudjahid Abdelhamid Mehri. Ses proches témoignent que le vieux militant, affable et policé mais très lucide, savait à qui il avait affaire et connaissait la relation avec son parrain, le général Larbi Belkheir. Cette référence à un homme de principes, libre et respecté de tous, a clairement pour but de semer la confusion et d’induire en erreur l’opinion publique, notamment la jeunesse qui ne connait pas le parcours d’apparatchik de l’interviewé.

Interrogé par la journaliste d’El Khabar, sur l’existence d’un soi-disant « Parti de la France » en Algérie, Abdelaziz Belkhadem a répondu qu’il n’existe pas de parti portant ce nom, mais qu’il existe des « amoureux de la France » en Algérie. Après avoir répété la question, Belkhadem n’a pu que répondre que ceux qu’il qualifie d’amoureux de la France sont ceux qui sont « plus fidèles à la France qu’à l’Algérie ». « La meilleure façon de répondre à la question selon ce personnage, serait de rappeler que l’Assemblée populaire nationale avait voté en 1991 une loi visant à généraliser l’usage de la langue arabe. Malgré son manque de clarté, car elle ne couvrait pas tous les aspects, cette loi a été approuvée par l’Assemblée. Après son adoption, l’un des partis politiques autorisés a organisé une manifestation bruyante dans la rue. Les slogans qui y étaient lancés n’indiquaient pas qu’ils étaient contraires à la loi, mais les participants ont tout rejeté, y compris ce qui était stipulé dans la loi. » Ce sont là les propres termes de Belkhadem.

De quelle manifestation est-il question ? A quelle marche Belkhadem fait référence, la qualifiant de « bruyante » ? En langue arabe, « bruyant » signifie cris, clameurs, fracas et mélange de voix. Comment Belkhadem peut-il conclure que les centaines de milliers de personnes qui ont participé à cette marche étaient des partisans de la France ? La manifestation à laquelle Belkhadem fait référence a été convoquée par le regretté Moudjahid Hocine Ait Ahmed, alors chef du Front des forces socialistes. Il était clair qu’Aït Ahmed souhaitait mettre fin aux manipulations des langues arabe et amazighe décidée par le système au pouvoir et mise en œuvre par les réseaux de Larbi Belkheir. Belkhadem était l’un des acteurs de cette manipulation démagogique de la langue arabe et l’islam au sein de l’appareil du Front de libération nationale.  Tout comme Saïd Saadi était chargé d’instrumentaliser la langue amazighe, sur la prétendue défense de laquelle il avait fondé son parti à la demande de Larbi Belkheir en 1989, avant même la promulgation de la Constitution pluraliste.

Aït Ahmed, dans son discours le jour de cette marche, avait déclaré : « Nous voulons une langue arabe moderne, évolutive et adaptée à notre époque, aux côtés de la langue amazighe.» Le discours de Belkhadem sur le moudjahid Hocine Ait Ahmed est, pour le moins, immoral et irresponsable, car Ait Ahmed, contrairement à Belkhadem et à ses semblables d’hommes de réseaux qui ne connaissent pas la logique d’État, Hocine Ait Ahmed était un homme d’État même s’il a vécu et est mort dans la résistance et dans l’opposition, dans la résistance au colonialisme et à l’hégémonie et dans l’opposition à la corruption et à la tyrannie. Ait Ahmed connaissait le danger mortel des exacerbations identitaires et des forces centrifuges antinationales qui œuvrent à diviser pour miner les pays de l’intérieur.

Cette interview dans le lourd – et dangereux – silence politique imposé à la société algérienne annoncerait elle le réveil des zombies politiques en sommeil depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika ? Certes, le régime, sans autre base que sa machine répressive, a besoin de relais politiques. Pense-t-il les trouver dans ces catégories d’exécutants serviles, aujourd’hui sénescents, qui n’ont jamais eu la moindre audience populaire ? Si tel est le cas, il est clair que le régime est entré en phase terminale.


[1] Extrait de l’itw d’Al Khabar : https://www.facebook.com/reel/795194093344998