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L’agression israélo-américaine de l’Iran et la guerre de l’information : Manipulation et Instrumentalisation de la religion et de l’identité

Par Farouk L. Benzaïm, Algeria-Watch, 05 .07.2025

Les dirigeants madkhali, le mouvement Frériste et le courant national-raciste, relais locaux de l’agit-prop impérialo-sioniste

En dépit de l’autoritarisme inepte du régime et l’interdiction de toute vie politique réelle, le peuple algérien, comme d’autres peuples du sud du monde désireux de se libérer de l’hégémonie, a suivi de très près la guerre israélo-américaine de l’Iran et a exprimé sa solidarité anti-impérialiste. L’opinion dans son écrasante majorité étant naturellement aux côtés du pays ciblé par Israël. L’Etat et la nation iranienne ont fait face à cette agression perfide avec force, opérant ainsi le transfert de la terreur de Gaza vers Tel-Aviv, l’impuissance des Gazaouis désarmés passant dans le cœur de colons terrifiés. A la grande satisfaction de beaucoup, la réaction destructrice de Téhéran a conduit le très arrogant gouvernement israélien à se terrer dans des abris souterrains pour tenir des réunions secrètes dans le hurlement des sirènes d’alarme…

Le narratif sioniste s’est volatilisé face à la réalité de la riposte et n’a pas pu convaincre même les plus acharnés des ennemis de l’Iran, y compris une opinion sioniste pourtant massivement intoxiquée par un discours suprématiste permanent. La propagande construite sur l’héroïsation d’une armée d’assassins a fait long feu. L’horreur télévisée en direct depuis le 8 octobre 2023 le confirme dans l’exhibition d’un pouvoir complétement dépravé, dénué de toute norme morale. Cette soldatesque coloniale célébrée par l’Occident s’avére n’être qu’une armée de tueurs qui ne reculent devant aucune transgression. Dans une surenchère d’ignominies, de Gaza à Téhéran et en dépit de moyens énormes, les porte-voix de l’entité coloniale ont perdu la bataille de l’information. L’opinion publique algérienne, qui n’a jamais été dupe d’un discours d’apartheid dans une tradition coloniale qu’elle a trop bien connu, a cependant été la cible d’une opération d’intoxication élaborée, destinée à masquer les enjeux en créant des diversions factices.

Propagande anti-iranienne sur les réseaux sociaux… de Khadija Bengana à Anwar Malek

Devant l’échec annoncé d’une propagande directement prosioniste, les alliés arabes de l’impérialisme ont eu recours à une approche construite sur la confusion et la division destinée à casser la sympathie pour la résistance iranienne. Cette propagande a commencé dès le début des bombardements israéliens sur Téhéran, dans un concert d’émissions et d’interventions sur les réseaux mobilisant es religieux, des starlettes de plateaux de télévision, des militants pseudo-nationalistes clairement racistes et d’autres agitateurs très vocaux.

La compilation des éléments publiés et diffusés dans la période sur les différents réseaux sociaux et médiatiques laisse supposer un réel degré de coordination, une véritable orchestration de fait, d’une vaste opération de désinformation.  A travers les thématiques identiques et les éléments de langage partagés, cette opération s’est déployée en parallèle des bombardements israéliens et des répliques iraniennes. L’objectif clair était de magnifier la supériorité d’Israël et de minimiser la réponse de Téhéran. Cette campagne a été clairement amplifiée par des algorithmes de sociétés internationales de désinformation sur les réseaux sociaux et les médias pro-occidentaux. L’industrie de la désinformation est bien l’émettrice d’une propagande équivalente à un viol politique et idéologique de masse, comme l’a analysé Serge Schakhotine.

Il reste que le contenu des médias sociaux algériens a généralement été favorable à l’Iran – avec quelques exceptions sans signification statistique – au motif que l’Iran est confronté à la domination coloniale et à un régime sioniste raciste qui pratique le terrorisme d’État et le génocide de civils à Gaza.  Mais les quelques relais algériens hostiles (ou prônant la méfiance) à l’Iran ou de soutien implicite à Israël a été amplifiée par des algorithmes et des entreprises de désinformation numérique liés aux EAU, à l’Arabie saoudite et au Qatar en particulier. Cette campagne semble avoir été lancée par un post de la présentatrice algérienne d’Al Jazeera, Khadija Bengana, qui réside au Qatar depuis plusieurs décennies. Cette journaliste, dans une formule alliant la détestation de l’Iran, le mépris de la Russie et la déférence aux Etats-Unis, a émis une menace voilée contre l’Algérie. Son post – « Le destin de quiconque qui  fait face au nucléaire avec la ferraille russe ». – relayé par tous les réseaux de médias sociaux immédiatement après le bombardement israélien de Téhéran, parfaitement compris par les internautes algériens, auquel beaucoup ont répondu en le condamnant sans ambages. Certains précisant avec ironie que l’alternative était de se soumettre aux Etats-Unis comme le Qatar et les pays du Golfe qui abritent de nombreuses bases militaires américaines.

Sur un autre registre, Anwar Malek a relancé une offensive verbale contre l’Algérie davantage que contre un système qu’il a longuement servi. Cet ancien militaire algérien a été notamment le confident personnel et politique dans les années 1990 d’Aboudjera Soltani, une figure très controversée de l’islamisme autorisé. Anwar Malek reproche au sénateur nommé au tiers présidentiel d’avoir veillé à ce qu’il soit torturé lors de son arrestation en 2005.

Anwar Malek mène depuis plus de seize ans une campagne véhémente en tentant d’associer l’Iran et l’Algérie dans une soi-disant entreprise commune de déstabilisation et de terrorisme visant la monarchie marocaine alliée à Israël. Cette orientation violemment anti-algérienne s’exprime par la publication d’innombrables messages et vidéos sur divers médias sociaux entre désinformation et intoxication. Cet influenceur, très imaginatif, avait notamment fait état de la présence d’officiers des Gardiens de la Révolution en Algérie, ce qui était une fabrication totalement mensongère.

Anwar Malek serait l’auteur d’un ouvrage, qu’il prétend avoir écrit lui-même et qui serait traduit dans plusieurs langues, intitulé :  » Le Polisario et l’Iran… Secrets du terrorisme de Téhéran à Tindouf « . Le titre confirme un des axes de l’agenda makhzenien et israélien visant à réduire l’Algérie pour mettre fin à toute autonomie politique en Afrique du Nord, ultime étape de la destruction de toute résistance après que la Turquie ait livré la Syrie à l’entité sioniste. Et quoi de plus indiqué que les militants takfiristes pour appliquer ce programme…

La Madkhaliya, la confrérie et les national-racistes… Entre Farkous et Jarboua al-Tamimi

Mohamed Ali Farkous, qui s’est fait connaître dans les années 1990 et a été utilisé par les services de sécurité algériens pour combattre les imams salafistes du Front Islamique du Salut, en particulier Ali Benhadj, est professeur à la faculté des fondements de la religion à Alger. Ce pédagogue a pu construire un réseau d’adeptes composé d’étudiants et de professeurs au sein de l’université et de dizaines de milliers d’adeptes sur le territoire algérien, avec son appel salafiste Madkhali qui est hostile à toute opposition au régime en place. Le système a fait appel à son savoir-faire démagogique pour déformer, critiquer et remettre en question le Hirak, le mouvement populaire pacifique algérien apparu en février 2019.

M.A. Farkous, à travers les réseaux sociaux, s’est pleinement investi dans la campagne anti-Iran lors de la réponse de ce pays aux bombardements israéliens et américains en invoquant la religion et en interprétant de manière éhontée la grande sédition et la première guerre civile au sein de l’Islam. Son argumentaire est largement relayé par ses disciples, lui offrant plus de visibilité sur les réseaux, notamment un post qui évoque le conflit sectaire en affirmant que l’objectif de l’Iran n’est pas la résistance mais la conversion au chiisme des populations sunnites. Ce prédicateur, visiblement très motivé, n’hésite à proclamer que : « L’Iran est prêt à tirer 2000 pétards pour conquérir les militants, cette équation est négligée par beaucoup. »

Ne refusant aucune escalade dans une « analyse » extrêmement orientée, le professeur Farkous, à l’annonce du cessez-le-feu entre l’Iran et Israël, affirme que l’Iran a capitulé : « L’Iran en 12 jours pour se sauver, son armée, sa direction, son peuple et tout s’est rendu, mais le Hamas, qui a été poussé par l’Iran au massacre du 7 octobre, s’est battu pendant 21 mois, refusant un cessez-le-feu et remettant les otages, pour les yeux de l’Iran… »

Dans une thématique voisine, Mohamed Djarboua al-Tamimi, un autre phénomène vocal, est un propagateur très impliqué dans cette opération de division et de diversion en usant de la religion mais aussi de la « race arabe ».  Ce personnage a été activement utilisé par les réseaux du défunt chef d’état-major Ahmed Gaid Salah pour sa campagne organisée contre le Hirak au nom de l’arabité et de l’anti-Amazighité et a mobilisé de nombreux relais à l’instar de Mohamed Lamine Belghith.

Mohamed Djarboua al-Tamimi a quitté l’Algérie et vit dans un pays du Golfe. Il mène depuis des années une campagne contre l’Iran au nom d’une « race arabe » qu’il essentialise dans une soi-disant opposition aux « Perses », et au nom des sunnites qu’il voudrait unanimement hostiles aux chiites. Ce militant raciste est l’auteur de plusieurs brûlots anti-iranien sans avoir jamais publié un seul texte contre Israël ou en faveur des Palestiniens. Cet extrait de l’un de ses écrits sur son compte facebook exprime l’orientation idéologique de ce militant de la division :  » … Je félicite tous les sunnites arabes et non arabes qui ont survécu à cette apostasie dévastatrice et sont restés fermes dans la religion des gens de la Sunna et de la Jamaat, et n’ont pas été emportés par le courant du chiisme mage qui a emporté beaucoup de gens … Je félicite tous les gens de la Sunna, arabes et non arabes qui ont été sauvés de l’apostasie. »

Quel est l’impact de cette campagne et quel écho rencontre-t-elle dans l’opinion publique algérienne ?

On ne peut répondre à cette question sans comprendre les fondements de cette propagande, étroitement liés à une scène politique artificielle très éloignée des réalités de la société algérienne. Le système médiatique étroitement contrôlé et sans crédibilité, justement dénoncé par le Hirak apparait comme une menace pour la sécurité nationale et la cohésion sociale. Les réseaux des Frères musulmans, qui ont recruté des jeunes Algériens dans les années 1980 pour combattre l’ex-Union soviétique en Afghanistan, maintiennent leur ligne de stricte obédience au Qatar et à la Turquie. Ces réseaux sont articulés autour du MSP, du Mouvement pour la Construction Nationale, le parti d’Abdullah Djaballah et des cercles dans leur orbite politique. Ces milieux et leurs relais ont célébré la chute de Damas en décembre dernier, mettant l’accent sur les crimes d’Assad, père et fils, contre les Frères musulmans. Leurs pages et sites sur les réseaux sociaux se sont enflammés dans la période entre décembre 2024 et février 2025 reprenant, en les exagérant, les narratifs des chaines de télévision du Golfe, Al Jazeera, Al Arabiya et leurs épigones, décrivant avec ferveur la « libération » de la Syrie. En occultant l’annihilation intégrale de l’armée syrienne par l’armée sioniste dans les 72 heures suivant la chute de Damas et l’occupation immédiate du mont Hermon.

Dans la période, les réseaux pro-saoudiens du Madkhali ont réagi de manière identique avec des arguments alternatifs comme le retour des Omeyyades à la tête de la Syrie. Ce sont les mêmes justifications pseudo-historiques et théologiques douteuses mises en avant par les émirats du Golfe financeurs de la destruction de la Syrie de 2011 à 2025.

Ces campagnes de désinformation sont apparues pour ce qu’elles sont aux yeux de l’opinion publique algérienne avec le silence observé par les réseaux des Frères musulmans quant à l’agression sioniste de Téhéran. Le courant Madkhali s’est chargé de minimiser la réponse iranienne, affirmant sans vergogne que l’oppression israélienne n’était pas différente de l’oppression iranienne en citant itérativement une prière : « Ô Dieu, frappe les oppresseurs par les oppresseurs et fais-nous sortir indemnes de leur sein.»

Ces développements indiquent une dérive politique potentiellement explosive autorisée par un système médiatique qui a éloigné l’opinion publique algérienne des médias nationaux. Cet état de fait constitue un levier d’instabilité pour le pays tout entier en permettant à des courants minoritaires rattachés à des forces d’hégémonie et de tromperie mondiales de diffuser une propagande visant à étendre leur hégémonie et à démanteler les sociétés. Seule une classe politique indépendante des bureaucraties de pouvoir et des relais financiers et idéologiques du takfirisme et du frérisme, agents assumés de l’impérialisme, peut faire face à ces manœuvres. La guerre en Asie Occidentale illustre très clairement la nécessité de construire un système médiatique professionnel et crédible pour protéger l’opinion publique de toutes les campagnes d’intoxication qui prospèrent en raison d’abord de l’étouffement des libertés et d’un verrouillage politique de moins en moins supportables. Les propagandes adverses et les manipulations néocoloniales fleurissent sur le terreau de l’autoritarisme. Le peuple algérien est majeur et n’a pas besoin de tutelles d’un autre âge. Les algériennes et les algériens, dans la liberté et le droit, sont les premiers défenseurs résolus des valeurs de souveraineté, des valeurs de la Révolution de Novembre et de refus de toute Hégémonie.